Nous l’avons déjà lu et même entendu que la définition des EMF (Etablissements de Microfinance) est « atypique ». En effet, ces EMF doivent faciliter l’accès au financement des personnes très pauvres exclues du système classique des banques et ils doivent financer les projets générateurs de bénéfices. Cette conception apparaît à bien des égards, ambiguë. Le dilemme est amplifié quand on enregistre les difficultés pour les individus très pauvres : de pouvoir rembourser leurs dettes Yunu (2003) ou de présenter des garanties pour bénéficier du crédit. D’autre part, la majorité des EMF peinent à obtenir des subventions comme source de financement pouvant atténuer le risque de non-remboursement. Cette conception atypique voir antinomique des missions des EMF rend complexe la compréhension de leur recherche de performance.
Face au constat selon lequel cette performance est considérée comme condition sine qua non de la pérennité des organisations, il en ressort que le défi de la microfinance est d’être performant. Loin d’être un slogan, la question de fond est de savoir comment être performant face aux objectifs ambidextres sus mentionnés ? Pourquoi aujourd’hui plus que dans le passé les EMF doivent s’inscrire dans une dynamique de performance ? Dans d’autres contextes (Europe, Amérique, etc.), la microfinance est déjà dans une logique de performance sociale. Faut-il épargner les EMF du Cameroun de ces normes sociales de la microfinance? Avant même d’aller plus loin, les EMF pilotent-ils leur performance financière ? Qui au sein de l’EMF est intéressé par la performance ? De quelle performance s’agit-il : financière et/ou sociale? Comment la mesurer ?
Très vite, l’on constate que sur l’intérêt accordé à la performance de la microfinance, suscite une panoplie d’interrogations très pertinentes les unes comme les autres. C’est la preuve que la performance est l’un des défis majeurs des EMF. Pour que le mot performance n’apparaisse pas comme un « prétexte », il faut préciser qu’il intéresse les acteurs ayant contribué à la naissance et à la vie de l’entreprise appelés « parties prenantes ». Une partie prenante est « un individu ou groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels » (Freeman, 1984). Il s’agit des actionnaires, du personnel, des clients, de la communauté et autres parties prenantes.
Quand la performance intéresse les actionnaires, on parle de performance financière. Il s’agit pour l’entreprise de répondre aux attentes des actionnaires. Ainsi, la réalisation d’un bénéfice comptable n’est qu’une étape dans cette satisfaction des actionnaires. L’entreprise est guidée par la maximisation du bénéfice. Ce postulat n’est pas une mauvaise chose. Cependant, la performance financière n’est pas une fin en soi. De nos jours, les EMF se démarquent parce qu’ils accomplissent des missions sociales et/ou environnementales.
Quand la performance intéresse toutes les parties prenantes, on dit qu’elle est analysée dans le cadre d’une gouvernance partenariale. Là, il s’agit de générer de la valeur pouvant satisfaire la majorité des parties prenantes. La satisfaction des parties prenantes autres que l’actionnaire peut apparaitre chimérique pourtant elle est une condition pour assurer la performance des organisations. Prenons un exemple, dans les études réalisées par Mayegle et al. (2016), Dompie (2016), Biwolé-Fouda et Messomo (2013), il apparait que certaines EMF au Cameroun se sont inscrits dans une logique de valeur partenariale. Les parties prenantes ressortant dans ses études sont : le personnel, le client, la communauté et les fournisseurs.
Les normes universelles de gestion de la performance sociale adoptées en 2012 par le secteur de la microfinance constituent une réponse à la prise en compte des attentes des parties prenantes telles que client et personnel. Elles incluent les « principes de protection des clients et fournissent des conseils aux Institutions de Microfinance (IMF) sur la manière d’équilibrer leurs performances financière et sociale. En adoptant les Normes universelles, les IMF s’assurent que leurs systèmes de gestion, leurs politiques, procédures, formations, contrôles internes sont conçus de manière à réaliser leur mission sociale. Il ne s’agit pas de perdre de vue l’importance des profits et de la performance financière, mais plutôt de s’assurer que les profits contribuent à la mission sociale de la microfinance.» (Brusky et Bauwin, 2018).
Les six dimensions des Normes universelles de la gestion de la performance sociale mettent l’accent sur des critères importants pour assurer le pilotage de la dite performance (figure ci-dessous).
Figure 1: Les 6 dimensions des Normes Universelles
Nombreux sont des exemples pouvant être énumérés pour montrer l’urgence de la prise en considération de la performance d’un point de vue globale. Par exemple, en fixant un taux de croissance de l’IMF, il faut s’assurer que le personnel est capable de suivre et de maintenir un service de bonne qualité. Autre exemple, les profits peuvent être partagés avec les clients. Imaginons des clients recevant de tels profits par un EMF, chose n’étant pas fait ailleurs, ils se sentiront plus en sécurité dans cet EMF par rapport à un autre. Une telle démarche développe un climat de sérénité et de confiance avec les clients ou membres. Surtout que ces clients se veulent rassurés de la sécurité de leur placement et de leur relation, en retour l’EMF veut savoir si le client n’est pas un vendeur d’illusion. Bref de telles initiatives atténuent le climat de suspicions entre les acteurs en présence.
Cette réflexion est renforcée par ce que certains spécialistes ont appelés le « capital client ». En effet, il s’agit ici de considérer les clients comme source de financement des activités de l’entreprise. En effet, les clients qui effectuent des placements dans les EMF mettent à leur disposition des fonds pouvant servir à réaliser les services de crédit. Peu importe les différents modèles de financement (financement par fonds propres, endettement et autres), les clients sont une source de capital et doivent être traités au même titre que les actionnaires. Sans oublier que la majorité des EMF ne reçoivent pas les subventions, les dons ou des legs pour faire face au risque de non remboursement des clients, il apparaît nécessaire de mettre sur pied un ensemble de systèmes de contrôle de gestion. Il faut aussi que ces systèmes soient efficaces. Les systèmes de contrôle de gestion sont un ensemble de routines, de procédures et de dispositifs formels ou informels, formalisés ou non formalisés utilisés par les managers pour faciliter la prise de décision et orienter les comportements des acteurs au sein de l’organisation Ils s’inscrivent dans le prolongement des systèmes de contrôle interne préconisés par la réglementation dont la limite est son caractère purement formel. N’oublions pas la forte contribution de la communication informelle dans les organisations. Ainsi, il est plus approprié de parler de systèmes de contrôle de gestion.
Figure 2:Contenu des systèmes de contrôle de gestion selon Malmi et Brown (2008)

L’objectif étant de mieux encadrer la performance recherchée et obtenue, il est primordial pour tout EMF d’avoir une meilleure maitrise de leurs systèmes de contrôle. Cela peut paraitre difficile mais pas impossible. Il faut d’abord les identifier. On recense au moins cinq sous-systèmes comme présentés dans la figure ci-dessus.
Par la suite, il faut attribuer un contenu à chaque système pour faciliter leur opérationnalisation. Cette dernière nécessite un enchevêtrement des acteurs et des outils de contrôle. Prenons par exemple le contrôle de la planification, les objectifs assignés étant ici issus des normes universelles de la performance sociale, alors le contrôle réalisé se fera sur les six dimensions de la dite norme. Ainsi, les outils, de même que les indicateurs auront une nature à la fois financière et non financière. L’un des outils par excellence conseillé à ce niveau est le tableau de bord stratégique préconisé par Kaplan et Norton. Une équipe de contrôle sera mobilisée à cet effet allant du « personnel de contact ou chargé de la clientèle » en passant par le chef d’agence jusqu’au directeur général. Prenons un autre exemple, le contrôle cybernétique commence à avoir un lien avec les comportements à partir du moment où les écarts enregistrés ont une influence sur le comportement. Dans cette logique, chaque EMF doit être capable de faire ressortir des écarts significatifs observés tant sur le plan financier que non financier. L’outil de contrôle prédominant à ce niveau est le budget. Il est accompagné d’autres outils et routines de gestion permettant d’assurer le bon déroulement des activités des EMF.
Pour finir, les systèmes de contrôle de gestion doivent être efficaces. Certaines conditions d’efficacité énumérées par Horngren et al. (2012) et d’autres issues de nos analyses sont :
- Les systèmes de contrôle de gestion doivent s’aligner sur la stratégie et les objectifs des EMF : ils contribuent à la réalisation de la stratégie de l’organisation tout en facilitant les prises de décision et la régulation des comportements de façon efficace.
- Les systèmes de contrôle de gestion doivent booster la communication à la fois formelle et informelle : ils doivent permettre aux membres de l’organisation de travailler dans un environnement communicant. Plus on communique, plus on évite des frustrations, plus on formule des objectifs communs. Des réunions, des boites à suggestions, des forums et biens d’autres moyens de communication doivent être utilisés par les EMF. Il ne s’agit pas seulement de la communication des parties prenantes internes à l’organisation. Il faut impliquer les autres acteurs tels que les clients, les banques et bien d’autres.
- Les systèmes de contrôle de gestion doivent être interactifs et prospectifs : la tradition qui s’appuie essentiellement sur le budget pour effectuer le contrôle a montré ces limites. En effet, le contrôle à ce niveau est en majorité rétrospectif. Ainsi, les systèmes de contrôle doivent avoir une forte capacité d’apprentissage et de mise à jour. Ils doivent favoriser la recherche de nouvelles opportunités.
- Les systèmes de contrôle de gestion doivent favoriser la motivation et l’amélioration de la performance des individus : Il s’agit d’encourager le comportement de chaque acteur au sein de l’organisation. Des systèmes de récompenses des acteurs peuvent être mis en place pour féliciter le personnel méritant.
- Les systèmes de contrôle de gestion doivent accorder une attention particulière aux clients et au personnel : Sans perdre de vue que les clients des EMF ne sont pas considérés comme les clients des entreprises industrielles pour des raisons mentionnées plus haut, il est important de les remettre au centre des préoccupations de la microfinance au Cameroun.
Figure 3: Conditions d’efficacité des systèmes de contrôle de gestion au sein des EMF au Cameroun

Ainsi, la pyramide ci-dessous apparait comme une proposition de démarche susceptible d’accompagner les EMF au Cameroun en quête de pérennité.

D’après les informations du ministère des finances (MINFI) au Cameroun, les Etablissements de microfinance (EMF) contribuent à hauteur de 10% au financement de l’économie nationale. Malgré cet apport remarquable, force est de constater que le taux de fermeture des EMF est très élevé. De l’année 2000 à celle de 2016, on passe de 652 à 412 EMF. A côté des différentes initiatives du MINFI pour aider les EMF, nous proposons aux acteurs de ces entités de mettre sur pied des systèmes de contrôle de gestion efficaces. Ceci se justifie par le caractère atypique de sa définition, le développement et l’adoption des normes universelles de la performance sociale, le changement du modèle traditionnel de financement, la gouvernance de type partenariale et la considération des clients au même titre que les actionnaires.
Quelques références :
Biwolé Fouda J., Messomo Ellé S., (2013), « Typologie de la Gouvernance partenariale dans les Établissements de Microfinance (EMFs) au Cameroun », Université de Douala, Publication.
Brusky et Bauwin, (2018), Baromètre de la microfinance 2018.
Dompie Tatsinkou Y., (2016), Contrôle de gestion et valeur partenariale des EMF au Cameroun, Editions Universitaires Européennes.
Malmi T., Brown D. A., (2008), Management Control Systems as a Package – Opportunities Challenges and Research directions, Management Accounting Research, 19 (4) : 287-300.
Mayegle F.-X., Mfopain A., Wandji G., (2016), Gouvernance et préservation de la « juste » répartition de la valeur: un impératif de survie des EMF au Cameroun, dans « Parlons économie-développement », Cahiers de l’IREA (Institut de Recherche et d’Etudes Africaines) N°2, L’Harmattan, Paris, p 195-222.
Source : http://www.minfi.gov.cm/index.php/salle-de-presse/actualites/399-comment-promouvoir-la-microfinance-au-cameroun
Yunus M., 2003, Banker to the Poor, Public Affairs.