Il s’agit bien du sujet d’un débat ayant réuni plusieurs leaders et talents africains de la digitalisation bancaire et la FINTECH. La rencontre organisée par l’organisation ALTO (African Leader & Talents Organization) a eu lieu ce 08 août 2020 sur la plateforme en ligne ZOOM avec comme modérateur OHOMON Marianne. Cette conférence fait suite à un ensemble de constats sur l’environnement de la digitalisation bancaire et la FINTECH en Afrique dans un contexte marqué par la crise COVID 19.
L’Afrique : les constats sur la digitalisation des services de paiement
Rappelons-nous que l’Afrique n’est pas dans ces débuts en matière de paiement mobile ou l’utilisation de la monnaie électronique et digitale. La première entité FINTECH spécialisée dans ce domaine voit le jour en 2007 au Kenya sous la dénomination de M-pesa. Au fil des années, ce mode de paiement a commencé à faire partie intégrante du quotidien de la population africaine. La vision est de permettre aux détenteurs de téléphones mobiles d’effectuer des opérations de dépôts d’argent ou épargne et toutes sortes d’achats. Cette démarche donne la possibilité par le numérique de participer à la vie économique quotidienne de son pays. Elle est possible par l’existence des FINTECH.
FINTECH renvoie à l’ensemble des sociétés innovantes concevant des plateformes numériques pour diverses transactions en monnaie électronique ou digitale. Il s’agit d’une combinaison de Finance et de Technologie, sous le nom de FINTECH. L’une des particularités de l’Afrique est l’usage par ces FINTECH de la technologie STK et USSD permettant d’assurer la digitalisation des finances sans l’usage d’internet. L’entreprise M-Pesa qui possède plus de 20 millions d’utilisateurs utilise dans la majorité des pays où elle est implantée le STK (Sim Application Toolkit) couplé à ses SMS cryptés. De ce fait, cette technologie nécessite la mise à jour de la carte SIM à chaque changement. Pour y remédier à cette difficulté, M-Pesa en Tanzanie s’est développée sur la technologie USSD et non plus sur le STK[1]. Avec la technologie USSD (Unstructured Supplementary Service Data ou Données de Services Supplémentaires non Structurées), le client entre en relation avec son opérateur téléphonique ou financier après avoir renseigné un numéro court par exemple du type #xxx# et accède à un menu contextuel dans lequel il peut naviguer grâce aux touches de son téléphone. Ainsi, cet acteur peut simplement lier son compte bancaire avec son numéro de téléphone et effectuer tranquillement les opérations depuis chez lui sans besoin de se déplacer. Certaines banques parlent du système de « Wallet Bank ». Une telle liaison peut justifier l’augmentation sans cesse croissante des opérations mobiles money.
En effet, « pour le compte de l’année 2018, la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) a répertorié 572.362.635 transactions financières en monnaie électronique dans la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), évaluées à 8.296.166.023.386 Francs CFA (soit plus de 12 milliards d’Euros). Entre l’année 2017 et l’année 2018, le nombre de transactions financières en monnaie électronique est passé de 303 millions à 572 millions, soit quasiment du simple au double. (…). En valeur, les transactions en monnaie électronique qui se sont élevées globalement à 4 .700 milliards de Francs CFA (soit plus de 7 milliards d’Euros) en 2017 ont dépassé 8.296 milliards de Francs CFA (soit plus de 12 milliards d’Euros) à la fin de l’année 2018. En 2018, les sommes détenues par les utilisateurs dans des porte monnaies électroniques et les dépôts en espèces des clients dans les points de vente ont atteint 125.733 milliards de Francs CFA (soit plus de 191 milliards d’Euros), représentant une augmentation de plus de 40 % par rapport à l’année précédente. »[2]. Un tel constat a poussé les autorités en zone CEMAC à adopter de nouvelle réglementation : Règlement n° 04/18/CEMAC/UMAC/COBAC relatif aux services de paiement dans la CEMAC le 21 décembre 2018. Cette réglementation tout comme le plan des comptes de l’OHADA reconnaît l’existence des paiements par monnaie électronique.
La digitalisation bancaire en Afrique, une opportunité aux contours moins maitrisés
Un tel tableau présenté plus haut apparait très élogieux pour montrer le taux de pénétration des services de paiement mobile électronique au sein de la population africaine. Cependant, d’après Global Findex en 2017, seulement 42,61% des personnes âgées de plus de 15 ans en Afrique Subsaharienne possèdent un compte bancaire contre 94,68% dans les pays de l’OCDE[1]. Ainsi, on se pose la question de savoir : l’Afrique est-elle prête pour la digitalisation bancaire et la FINTECH ? Pour répondre à cette question, plusieurs personnalités aux compétences multiples ont apportées leur expertise. Il s’agit de SANOGO Miriame (superviseur des opérations-Bizao), DOUNGNAN COULIBALY (Chief Marketing & Digital Officer_ Bizao), NGUIDJOI Christine (Analyste financière), DEME Daouada (Directeur Général Next Africa Fintech), NYAMBAL Stéphane (Auditeur comptable et financier), LEOSGHO Jean Marie (consultant des services financiers Amarante Consulting), ANANI EKUHOHO Jean-Paul (CEO_TOGO), NGALEU Kevin (Founder Ishangoo), KOMOTA Aliou, MAMADOU Diallo et bien d’autres.
La réflexion sur la digitalisation bancaire en Afrique est considérée par certains intervenants comme prématurée pour les banques traditionnelles en Afrique. L’argument avancé par les intervenants insiste majoritairement sur les aspects : méconnaissance du lieu d’habitation du client, le « coût supporté », la contrainte perçue le client, l’absence d’une culture bancaire de la population africaine et l’existence d’un écosystème moins favorable.
- On fait du crédit à une personne qu’on connait. Cependant, en Afrique, dans la majorité des cas, on ne connait pas exactement où réside le client. Il n’existe pas aussi des mécanismes permettant d’avoir des informations à temps réel sur la situation du client si ce dernier était appelé à être recherché en cas de non-respect de ses engagements. Par exemple en côte d’ivoire, on ne connait pas où tu vis. Les informations souvent collectées sur les clients ne sont pas sauvegardées en Afrique. Un tel constat est très interrogateur.
- Pour le coût supporté, les banques centrales en Afrique pratiquent des taux directeurs très élevés avoisinant souvent 7% pourtant en Europe, ces taux sont très bas. En plus, les opérations réalisées par la banque sont qualifiées de très onéreuses. Ainsi, pour certains panélistes, l’échec des banques apparait déjà au niveau des coûts pratiqués de façon classique. Une interrogation est imposée sur les nouveaux coûts qui apparaitront après la digitalisation.
- Pour la contrainte perçue par le client, les panélistes insistent beaucoup sur le fait que les personnes ouvrent des comptes en banque à cause de la contrainte de l’employeur et prennent moins de temps pour la lecture des documents soumis à leur appréciation. La sensation de posséder le « cash ou l’espèce » apparait plus réconfortante pour la majorité d’africains que de procéder à l’épargne dans une banque.
- L’absence de culture bancaire revient sur la nécessité d’éduquer la population sur les produits de la banque avant de leur demander d’intégrer la dimension digitale de dits produits.
- L’existence d’un écosystème moins favorable à la digitalisation est renforcée par l’absence de la réglementation en la matière dans certains pays africains (cas de l’UEMOA), l’absence des infrastructures et l’absence de politique gouvernementale d’encouragement des FINTECH et digitalisation bancaire. On se rappelle très bien pour le cas du Cameroun, qu’avant le Règlement CEMAC de 2018 relatif aux services de paiement, seuls les établissements de crédit ou de microfinance en partenariat avec un opérateur téléphonique étaient autorisés à émettre de la monnaie électronique suivant le modèle bancaire adopté et autorisé par la Banque Centrale (BEAC). Aujourd’hui, les opérateurs téléphoniques sont devenus les concurrents à ce projet de digitalisation bancaire. Le rôle de l’Etat comme régulateur apparait indéniable dans une telle situation.
L’implication de la digitalisation : modèle banque versus modèle banking
L’Afrique a besoin des FINTECH pour évoluer surtout dans un environnement marqué par la pandémie du COVID 19 limitant les contacts entre personnes. Une telle évolution apparait une nécessité et renforce l’opportunité de digitalisation bancaire en Afrique. En effet, il existe environ 475 millions d’utilisateurs africains de la technologie USSD. Par conséquent, l’Afrique est en pointe sur le sujet de la digitalisation des paiements. La faible maitrise des contours de cette digitalisation au niveau des banques est liée à la confusion du modèle Banking et du modèle banque.
Les intervenants insistent que le « modèle banque » est l’approche classique des banques couramment connue et partagée. Il s’agit pour les banques d’assurer le rôle d’intermédiation bancaire en mettant en relation les acteurs à besoin de financement avec les acteurs à capacités de financement. Ces banques accomplissent ainsi le rôle de financement des activités en prêtant qu’à une personne ayant une solvabilité prouvée au travers des accords de Bale 1, 2, 3. Or en Afrique, il existe des besoins de financer l’innovation, la recherche, la création des entreprises bref les domaines à risque.
Ailleurs, les acteurs recourent de moins à moins aux banques mais ils accèdent aux sources de financement à l’instar de la bourse, de crowdfunding, des mécanismes de levée de fonds. Il s’agit d’après les panélistes du « modèle banking ». Il consiste pour les agents à se financer à recourant à des sources autres que la banque classique.
Une telle comparaison montre que les banques classiques évoluent et deviennent de plus en plus digital pour s’insérer dans un modèle banking. Il s’agit d’associer des services financiers de base à un numéro de téléphone mobile, un peu comme en Europe, il y’a des liaisons entre compte bancaire et compte Paypal ou MasterCard. Une telle démarche facilite l’accessibilité aux informations sur leurs transactions, soldes car les clients n’ont pas uniquement besoin de faire crédit ou l’épargne.
Cette comparaison montre que l’adoption de la digitalisation bancaire a des répercussions sur le modèle classique de banque et encourage un nouveau dynamisme.
Digitalisation bancaire : L’Afrique est prête cependant des ajustements s’imposent
On sait globalement que la digitalisation passe par l’usage des technologies telles que STK, USSD, internet et des outils tels Smartphones, du big data permettant d’inclure plusieurs personnes. Son existence implique une nécessité de s’adapter à l’évolution de l’environnement. Ainsi, la digitalisation bancaire n’est plus une option mais une nécessité pour l’Afrique surtout dans cette période marquée par la pandémie du COVID 19.
Les activités concernées par la digitalisation bancaire
Il s’agit des activités d’épargne et d’achat. Les opérations de crédit ne sont pas encore dans cette catégorie. On a les opérations telles que paiement des titres de transport ; paiement des factures d’eau et d’électricité ; paiement d’abonnements de téléphone et de télévision par satellite ; règlement d’achats au supermarché et en ligne ; paiement de factures de restauration et de loisirs ; paiement des frais de scolarité ; paiement de loyer et autres frais d’hébergement, achat et vente, paiement des impôts, paiement des factures. Dans certaines zones en Afrique, les opérations de mobile money peuvent s’effectuer de façon sous régionale. C’est le cas par exemple de la zone CEMAC. Pourtant les opérations des Etablissements de Microfinance s’effectuent uniquement au sein d’un seul pays.
Les ajustements
D’après les panélistes, ces ajustements commencent par une éducation de masse de la population sur les services et produits offerts par la banque classique d’une part, et sur le besoin de la digitalisation bancaire d’autre part. D’après un panéliste, la population consommatrice des services digitaux ou des services en ligne (E-learning, Réseaux sociaux) est facilement accessible à la digitalisation bancaire. Cela constitue une piste.
Une telle démarche implique aussi une formation du personnel à l’intérieur de la banque. Certes, il faut voir le côté suppression de poste mais, il faut aussi voir le côté augmentation de la clientèle.
Il faut procéder à une définition des mécanismes de cyber-criminalité ou d’intelligence artificielle pour limiter les risques de tout genre. Une cartographie des risques est nécessaire pour assurer un meilleur contrôle.
Il est préférable de définir les services et produits en banque ayant besoin de digitalisation. L’idée est de procéder à une digitalisation progressive et adaptée à notre contexte. Elle aboutit à l’élaboration d’un business model spécifique à l’environnement bancaire africain.
L’ensemble des freins énumérés depuis le début de la conférence peuvent aussi être identifiés comme les points sur lesquels les banques ou les Etats peuvent s’appuyer pour donner un vent de pourpre à cette digitalisation bancaire. On peut citer entre autres : la nécessité de rééduquer la population, revoir à la baisse les coûts de transaction ; permettre une meilleure connaissance du client ; revoir le modèle bancaire, etc.
Au Final, les banques en Afrique sont à la fois victimes et auteures de la digitalisation
Elles sont victimes dans la mesure où l’arrivée des multinationales sur le territoire africain impose parfois une nouvelle façon de réaliser les services de paiement. Dans ce sens, il faut utiliser internet pour effectuer des paiements des factures en ligne avec un compte bancaire. Elles sont auteures car elles utilisent la technologie USSD ou STK pour permettre à leur client d’effectuer les transactions financières sans besoin de connexion. Cette opportunité reste encore faiblement exploitée par les banques. Ce qui constitue une niche pour les FINTECH africains.
Par DOMPIE TATSINKOU Ynest
[1] Mathias Léopoldie (2017), https://julaya.co. #mobilemoney #AfricaTech #fintech
[2] Moukouri Djengue D., Mbanda E., (2020), https://lex4.com/loi-pour-les-fintech-dans-la-zone-cemac-une-avancee-juridique-historique/
[3] OCDE (Organisation de la Coopération de Développement Economique)