Assurtech en Afrique : Une réalité en cours de construction

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L’expression assurtech (insurtech) est utilisée depuis une décennie. Aucune source ne mentionne la date exacte de son apparition. D’après le rapport de PWC portant sur l’Insurtech de 2016, cette date se situe autour de 2010. L’histoire de l’assurtech est fortement corrélée à celle de la fintech. En effet, la FINTECH, combinaison finance et technologie, visant à améliorer et à automatiser l’usage et l’utilisation des services du secteur financier, l’assurtech utilise cette même technologie pour améliorer l’efficacité et favoriser l’avancement du secteur de l’assurance. Ainsi les clients, bénéficiaires pour la majorité des services de la fintech, vont exiger l’utilisation des produits et services plus simples et efficaces grâce à la numérisation.

Selon KPMG, les Etats-Unis concentrent en 2016 près de 60% des assurtech, suivis de l’Allemagne 6% et de la Grande-Bretagne 5%. En 2014, les capitaux investis dans les assurtech atteignent 870 millions USD pour 300 start-up au niveau mondial. Un an plus tard, ces entreprises attirent près de 2,69 milliards USD d’investissement, dont environ 55% dans les start-up assurance non vie et 45% en assurance vie. Fin 2016, le cap des 1000 entreprises est dépassé avec des investissements de près de 1,68 milliard USD.

Le recours à ces services justifie aujourd’hui ce fort taux d’investissement dans les start-up faisant dans l’assurtech pour un montant de 1,41 milliard USD au deuxième trimestre de 2019 (Atlas Magazine, 2019). Ce positionnement est justifié par un ensemble d’éléments que nous aborderons ci-dessous.

L’intégration dans les assurances classiques des nouvelles exigences du confinement et du numérique

Avec l’effet du COVID19, l’utilisation des services numérique et digital au niveau du secteur financier et de l’assurance a évolué dans le monde comme décrit dans la figure ci-dessous :

Source : Capgemi Financial Services Analysis, 2020, report

L’une des réponses des assurances classiques consiste à mobiliser les méthodes diffusées par les assurtech. Les acteurs de l’Assurtech sont souvent des start-ups. Beaucoup d’acteurs Assurtechs disposent de capacités d’analyse de données avancées incluant l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique. On parle de Big data. Ainsi, elles ont la capacité de saisir le marché plus rapidement que les assurances classiques et de personnaliser l’offre de service suivant le client. Cette personnalisation est faite parce qu’elles ont la capacité de comprendre parfaitement le comportement des clients au travers des méga données collectées. En plus, les assurtechs mobilisent les savoir-faire dans les technologies digitales et numériques pour conquérir des parts de marché dans des domaines jusqu’ici inexplorés par les sociétés d’assurance traditionnelles.

Les assurtechs créent de la valeur pour leurs clients, sans lien apparent avec l’assurance. Selon le rapport de l’enquête de KPMG sur l’assurtech, les assureurs doivent considérer chaque client comme un « segment à lui seul » pour lui offrir un service et des produits personnalisés. Pour ce fait, la veille des médias sociaux et l’intelligence artificielle sont des outils mobilisés.

L’exemple est la plateforme «La plateforme BlaBlaCar a commencé à générer des prospects pour AXA». Ainsi, l’assurtech apparait dans la majorité des cas comme la version numérisée, digitale voir application mobile des sociétés d’assurance traditionnelle. Il s’agit le plus souvent des start-up de taille relativement modeste, comme c’est le cas en Afrique avec SUSU

Les six principales tendances qui présentent à la fois des risques et des occasions de l’assurtech :

  • La pandémie du COVID 19 encourageant la dématérialisation des services 
  • La transformation radicale de la dynamique des relations avec le client
  • La perturbation du modèle d’affaires, innovation, changement technologique
  • La formation d’alliances et de partenariats stratégiques
  • Les changements réglementaires importants
  • La création de la main-d’œuvre de l’avenir

Ainsi, dans un monde hyperconnecté (génération Z), les risques changent, les opportunités apparaissent, les actifs numériques prennent de la valeur et les préférences des clients évoluent vers l’immédiateté, la simplicité et la personnalisation. De ce fait au sein des assureurs classiques, la transformation radicale et dynamique des relations avec les clients ; le changement des canaux de distribution, la recherche de l’amélioration de l’expérience du client, le caractère évolutif et innovant du secteur poussent ces entreprises à adopter une stratégie orientée vers le numérique, le digital et l’application mobile. Les assurances en Afrique en général et au Cameroun ne sont pas épargnées.

Les domaines d’activités de l’assurtech

L’assurtech intègre toutes les activités de l’assurance apparaissant dans le relationnel avec le client. Il s’agit principalement de l’assurance vie et de l’assurance non vie et des activités connexes. Les domaines privilégiés des start-ups tournent autour de :

  • la relation client,
  • la réduction des coûts et donc des tarifs,
  • l’exploitation des données circulant sur internet, en particulier celles issues des objets connectés et du big data,
  • les véhicules autonomes,
  • la dématérialisation des contrats d’assurance,
  • la souscription et la gestion des contrats d’assurance par internet,
  • la gestion des sinistres en ligne,
  • la personnalisation des offres d’assurance et le rôle de l’intelligence artificielle,
  • l’individualisation de la relation client grâce notamment aux outils conversationnels,
  • la mise en place de nouveaux services aux assurés.

Les solutions offertes par l’assurtech sont nombreuses en assurance non vie (assurance santé, automobile, habitation), l’assurance vie reste encore en retrait.

Le champ d’application

Les assurtechs sont actives dans différents domaines. Il s’agit notamment :

  • les comparateurs d’assurance, l’aide à la vente,  au Cameroun, c’est le cas de LMR (Les Mutuelles Réunies) ;
  • le big data et l’internet des objets ou assurance des objets connectés, l’assurance vie en ligne,
  • la prévention,
  • l’innovation des produits,
  • le service aux assurés,
  • le peer to peer, les achats groupés,
  • l’intelligence artificielle.

Les stratégies des assurtechs

Près de 160 assurtech ont été identifiées dans les pays émergents d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine en 2016. Elles diffèrent en fonction des technologies développées. Certaines applications vont du mode papier vers le mode digital alors que d’autres vont vers des technologies plus avancées telle que l’intelligence artificielle. Ainsi, on identifie trois modes de stratégie de ces assurtechs notamment :

Diversification :

Elle consiste pour les AssurTechs de ne plus se concentrer principalement sur l’assurance dommages et la distribution comme c’était le cas au debut. Désormais, les AssurTechs créent des solutions digitales tout au long de la chaîne de valeur assurantielle (distribution, aide à la vente, analyse de risque, gestion sinistres, fraude, paiement).

Professionnalisation : 

Elle accompagne généralement la maturité. Elle nécessite l’innovation et l’acceptation du risque. Comme tout professionnel, il faut faire preuve de planification, de contrôle des actions et des résultats, de persévérance, maitrise de la croissance et du pilotage de la performance sans oublier le respect de la règlementation en vigueur.

Collaboration : 

Le défi n’est plus « AssurTech » contre « Assureur traditionnel » (comme la minorité cherhce à disrupter avec le modèle classique de l’assurance), mais plutôt la recherche d’une collaboration entre les deux pour créer une valeur tangible pour le client.

La migration peu maitrisée par les assureurs africains

Grâce à l’analyse prédictive, les assureurs ont la possibilité de créer des produits de microassurance plus adaptés aux clients institutionnels qui leur permettront de mieux comprendre et gérer les risques qui leur sont propres et y réagir, en réduisant par exemple les primes d’assurance des véhicules de société. Cependant, en Afrique, la micro-assurance issue de start-up est peu répandue. Cette situation est  paradoxalement, selon la revue « Insurtech for Development 2017 » car l’Afrique présente le plus grand nombre de projets de l’assurtech, suivie de l’Asie où l’Inde fait figure de moteur avec 28 initiatives. L’Afrique, avec un nombre de téléphones portables par habitant particulièrement élevé, constitue un grand champ d’investigation pour les assurtech.

Pourtant, juste quelques  des Start-up de petites tailles sont citées. Les grandes entreprises dans le domaine sont situées en Occident. Il s’agit par exemple d’après le rapport 2020 du Capgemi Financial Services Analysis, les assurtechs connus sont : ISAI Investment, Insurtech connect ; Shift technology, Alchemy crew, Majesco, Insurtech Hartford, En France : IARD, Alan et Seyna,.

Au Cameroun, l’assurtech est perceptible dans certaines activités spécifiques de l’assureur. En effet, le processus de commercialisation et distribution de l’offre d’assurance est axée sur une réduction des procédures physiques et des déplacements. Aussi la numérisation est faite au niveau du remplissage des formulaires et des contrats, et le paiement des indemnités via mobile money. L’enjeu majeur de l’Assurtech pour les compagnies d’Assurance au Cameroun se situe dans la recherche de l’accroissement du portefeuille client. Pour atteindre cet objectif, par exemple, l’assureur Activa et l’opérateur de télécoms Orange « ont créé en 2015 une coentreprise de micro-assurance dont le modèle repose, lui, sur celui d’Orange Money et baptisée Activa Makala ». La prise en compte de ces exigences technologiques est perceptible au sein des compagnies d’assurance de Yaoundé et de Douala suivant le tableau ci-dessous.

Compagnies d’assurances situées à Yaoundé Compagnie d’assurances situées à Douala
Compagnies d’assurances ayant un site internet 90,9% 90,9%
Compagnies d’assurances proposant des souscriptions en ligne 25% 18%
Compagnies d’assurances proposant des paiements en ligne 36,4% 36,6%
Compagnies d’assurances ayant des applications mobiles 27,3% (Au total)

Source : Cabinet P2A (Prévoyance-Assistance-Assurance)

Ainsi, on constate que la majorité des assurances au Cameroun (Douala et Yaoundé) au lieu de recourir à des start-up pour accélérer l’intégration du digital dans leur entreprise, elles ont élargi en interne leurs offres de service. C’est le cas de par exemple de ZENITH INSURANCE avec sa plateforme de cotation/souscription et sinistre/détails accessible en ligne (https://zenitheinsurance.com/fr/e-insurance). Cette situation s’explique aussi par le fait que le recours aux start-up d’assurtech n’est pas encore suffisamment règlementé en Afrique. Nous mobilisons ici la zone CIMA (Conférence Interafricaine des marchés de l’assurance) dans laquelle le Cameroun est considéré comme Etat-membre.

Dans le rapport du 29 janvier 2019 portant sur le sujet « Développer le marché de l’assurance en Afrique Centrale » de l’Issofa NCHARE, secrétaire Général de la CIMA, un accent particulier a été mis sur la digitalisation. Pour la secrétaire, la digitalisation des services d’assurances apparait comme un moyen de résoudre les problèmes suivants :

  • Manque d’informations sur les clients ;
  • Difficultés d’atteindre les consommateurs ;
  • Répondre aux besoins spécifiques des consommateurs peu ou pas servis
  • Inclure les consommateurs sans expérience des services formels ;
  • Maintenir les primes à un niveau abordable

Plus loin la secrétaire insiste sur le fait que la technologie numérique aide à rendre les modèles d’affaires plus inclusifs tout en améliorant les opérations et en réduisant les coûts et en adaptant l’offre aux besoins des consommateurs. Au travers son intervention, la secrétaire de la CIMA fait un aveu selon lequel cette organisation continentale concernant 14 pays en Afrique n’a pas encore défini un cadre formel régissant la digitalisation des services d’assurance. C’est pourquoi la CIMA prévoit :

  • Etendre ses prérogatives à toutes les parties prenantes (prise en compte de nouveaux acteurs) ;
  • Etablir des accords de partenariat avec les multiples autorités impliquées dans le contrôle (banques centrales, télécommunication, …), en vue d’un échange d’informations de manière adéquate ;
  • Mettre en place un cadre de contrôle qui facilite l’innovation (approche du « bac à sable »)
  • Définir des principes de transparence solides applicables à l’assurance numérique incluse ;
  • Définir des procédures efficientes de protection des informations privées des clients.

Ce constat se justifie par le fait que le rapport 2018 de la CIMA n’aborde aucun point sur l’assurtech.

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